[Covid-19] Baux commerciaux : «la solution la plus pragmatique est de dialoguer», A. Epinat

[Covid-19] Baux commerciaux : «la solution la plus pragmatique est de dialoguer», A. Epinat

15.05.2020

Gestion d'entreprise

Alors que certains locaux commerciaux ont pu redémarrer leur activité le 11 mai dernier, d'autres sont encore fermés, comme les cafés, les restaurants, etc... Que faire lorsque la note devient salée ? Il est dans l'intérêt des bailleurs comme des locataires de négocier le paiement des loyers commerciaux, estime Anne Epinat, avocat associée chez In Extenso Avocats.

Anne Epinat, avocat associée chez In Extenso Avocats, encourage bailleur et locataire d'un fond de commerce à trouver un terrain d'entente. Elle anticipe des procédures judiciaires longues et coûteuses pour les deux parties. 

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Quel est le droit applicable aux baux commerciaux ?

Il y a deux principes : celui du report ou de la suspension des loyers. Ce qui n’entraîne pas les mêmes conséquences. Les loyers restent dus en cas de report. La suspension peut laisser entendre qu’ils ne continuent pas à courir.

La loi sur l’état d’urgence du 23 mars 2020 envisageait de reporter ou d’étaler le paiement des loyers. On revient alors aux règles générales prévues pour le paiement par l’article L1343-5 du code civil qui précise que le juge peut toujours reporter ou étaler une dette si le débiteur ne peut pas payer ou en fonction des besoins du créancier d’obtenir son paiement rapidement. Les textes sont ensuite venus préciser l’impossibilité de mettre en œuvre la clause résolutoire, de demander des pénalités et d’agir en justice, etc. L’ordonnance du 25 mars 2020 précise que bénéficient de ces mesures les petites entreprises (TPE-PME) impactées par la crise sanitaire qui peuvent obtenir l’aide du fonds de solidarité. Elle est applicable jusqu’au 10 septembre 2020 inclus, c’est-à-dire 2 mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire.

Que peut-on préconiser aujourd’hui aux bailleurs et aux locataires ?

La solution la plus pragmatique et la plus cohérente aujourd’hui est de dialoguer. Des professeurs de droit, avocats, notaires, etc., se penchent et écrivent sur la question sur un plan « juridico-juridique ». Ils essaient de tirer un certain nombre de significations - voire des extrapolations - des lois, ordonnances et décrets promulgués depuis le début de l’état d’urgence sanitaire. Notamment sur le fait de savoir si le report ou l’étalement implique la suspension des loyers. Certains voudraient aller jusque-là. Certains juristes disent aussi que nous avons tout un arsenal de dispositions juridiques qui le permette : la force majeure, l’imprévision, l’exception d’inexécution. On peut en discuter entre professionnels du droit. Et cela va varier en fonction de la situation dans laquelle on se place : celle du bailleur ou du locataire. De même que s’il s’agit d’un local dont la fermeture a été imposée par les dispositions légales ou qui est fermé parce que l’exploitant n’est pas en mesure de respecter les règles sanitaires applicables.

La responsabilité de la fermeture des locaux peut donc peser sur le bailleur. Prenons l’exemple d’un local à usage de restaurant. Ils sont tous fermés du fait de la loi. Le bailleur ne permet alors plus à son locataire d’exploiter son local. Il est normal qu’il ne perçoive pas de loyer.

En revanche, s’il s’agit d’un commerce de vente alimentaire à emporter mais que l’exploitant n’est pas en mesure de garantir à ses salariés le respect des normes d’hygiène, le local est fermé par la faute du preneur. Le bailleur, lui, n’y est pour rien.

Nous avons donc un patchwork de possibilités juridiques. Face à cela, il faut être pragmatique. Raisonner sur le plan juridique nous mènera à des procédures longues, coûteuses alors que la situation économique est déjà difficile pour les bailleurs qui n’ont pas perçu leurs loyers ou pour les preneurs qui ne peuvent pas exploiter leur fond, n’ont pas de revenu et ont des pertes de chiffre d’affaires importantes. Certains bénéficient du prêt garanti par l’État (PGE) mais il sera automatiquement bloqué par les dettes anciennes et ils auront toujours un défaut de financement pour reprendre leur activité… Si bailleurs et locataires veulent arriver à un règlement rapide cela ne peut passer que par un rapprochement entre les deux parties. L’une des deux doit prendre l’initiative. La voie de règlement des difficultés actuelles passera par les modes alternatifs de règlement des différends. Il faut se mettre autour d’une table et le cas échéant avec des professionnels aidant à la négociation : un médiateur, un avocat formé en droit collaboratif, un administrateur mandataire ad hoc, etc.

Pourquoi le bailleur, alors que ses locaux sont fermés du fait de la loi, pourrait-il ne pas percevoir ses loyers ?

Dans cette situation totalement inédite, qui n’est pas liée à une faute, des difficultés financières vont survenir pour les uns et pour les autres. Pourtant juridiquement, dans le cadre d’un bail commercial, le bailleur à une obligation vis-à-vis du preneur. Et sa première obligation est de fournir des locaux conforment à leur destination et à une possibilité d’exploitation. Or, le preneur se trouve dans l’impossibilité d’exploiter le fond. Tandis que la destination des locaux commerciaux procède plus du bailleur que du preneur.

Le preneur pourrait faire valoir qu’il est en droit de ne pas payer les loyers jusqu’à la réouverture des locaux. Il pourrait utiliser le jeu de l’article 1719 du code civil et l’obligation de délivrance qui incombe au bailleur, que ce dernier n’aura pas pu satisfaire.

Le bailleur pourrait alors se retourner contre l’état. Cependant, une raison dépasse toutes les autres : celle de la santé et de la sécurité nationale. L’état ne va donc certainement pas indemniser tous les bailleurs qui n’auront pas perçu leurs loyers. Il ne peut pas se substituer à toutes les situations individuelles.

La force majeure pourrait-elle être invoquée par les deux parties ?

Le bailleur et le preneur se trouvent tous les deux dans un cas de force majeure. Le bailleur pourrait l’invoquer pour dire que si les locaux sont fermés ce n’est pas de son fait. Et inversement. Or, ils ont deux intérêts économiques distincts.

Le preneur a-t-il intérêt à négocier ?

Oui et non. Personne ne peut jamais exclure l’aléa judiciaire. Il n’est pas à l’abri d’une décision le condamnant à payer ses loyers. Il se retrouvera alors avec l’obligation d’avoir provisionné tous les loyers depuis le 12 mars 2020 et avec une dette colossale. Et s’il n’a pas de trésorerie, son activité, qu’il aura péniblement remontée après le covid-19, se retrouvera à nouveau en péril. La question restera donc une épée de Damoclès.

Il ne faut pas non plus oublier le principe suivant : lorsque vous réglez une dette, la première qui est réglée s’impute sur la plus ancienne. Aussi, quand les locataires vont recommencer à pouvoir payer leurs loyers, si la question n’est pas réglée et que l’on estime que la loi ne faisait que les reporter, alors le loyer payé à compter du mois de juin sera imputé sur celui du mois d’avril (non réglé) et ainsi de suite. Vous aurez toujours un décalage de non-paiement des loyers à la fin de la période protégée contre une éventuelle action en justice, à savoir jusqu’au 10 septembre. A partir de cette date, il sera alors possible au bailleur d’intenter une procédure classique, et relativement rapide, en non-paiement des loyers commerciaux.

Vous anticipez des contentieux à la chaîne ?

Oui. Il pourrait y avoir d’abord un procès au civil puis devant le juge administratif, comme expliqué plus haut. Et la justice est déjà encombrée. Avant même le début du confinement, elle connaissait un embouteillage du fait de la grève des avocats pour la réforme des retraites, notamment. L’encombrement est aujourd’hui accru par le fait que pendant la période de confinement les juridictions n’ont pas fonctionné sur ce type de contentieux. Pour les nouveaux dossiers, je ne pronostiquerais pas la date à laquelle ils pourront être plaidés au tribunal.

Anticipez-vous des renégociations de loyers ?

Oui. Dans le cadre des révisions des loyers, l’effet Covid-19 va sans doute entraîner une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité qui permet, lors des révisions triennales, de sortir de la simple application de l’indice et de revenir à une valeur locative. Laquelle va très vraisemblablement enregistrer une baisse à partir du moment où toute l’économie a été à l’arrêt pendant plusieurs mois.

 

propos recueillis par Sophie Bridier
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